Le droit au développement face à l’urgence climatique : un équilibre fragile
Dans un monde confronté à des défis environnementaux sans précédent, la question du droit au développement et de l’accès équitable aux ressources naturelles se pose avec une acuité renouvelée. Comment concilier les aspirations légitimes des pays en développement avec la nécessité impérieuse de préserver notre planète ?
Les fondements juridiques du droit au développement
Le droit au développement est un concept relativement récent en droit international. Consacré par la Déclaration sur le droit au développement adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1986, il affirme que tout être humain et tous les peuples ont le droit de participer et de contribuer à un développement économique, social, culturel et politique dans lequel tous les droits de l’homme et toutes les libertés fondamentales puissent être pleinement réalisés.
Ce droit s’inscrit dans la continuité des droits de l’homme et vise à garantir l’épanouissement de chaque individu et de chaque société. Il implique notamment l’accès à l’éducation, à la santé, à un niveau de vie décent et aux ressources nécessaires pour y parvenir. La Cour internationale de Justice a reconnu l’existence de ce droit dans plusieurs de ses avis consultatifs, renforçant ainsi sa valeur juridique.
L’accès équitable aux ressources environnementales : un enjeu crucial
La question de l’accès équitable aux ressources environnementales est intrinsèquement liée au droit au développement. Ces ressources, qu’il s’agisse de l’eau, des terres arables, des forêts ou des minerais, sont essentielles au développement économique et social des nations. Or, leur répartition et leur exploitation soulèvent de nombreux défis.
Le principe 7 de la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement de 1992 reconnaît la responsabilité commune mais différenciée des États dans la protection de l’environnement. Ce principe tient compte des disparités entre pays développés et pays en développement, tant en termes de contribution à la dégradation environnementale qu’en termes de capacités à y faire face.
Néanmoins, la mise en œuvre concrète de ce principe reste complexe. Les négociations internationales sur le climat, comme celles menées dans le cadre de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, illustrent les tensions entre pays du Nord et pays du Sud sur la répartition des efforts de réduction des émissions de gaz à effet de serre et sur le financement de l’adaptation au changement climatique.
Les défis de la conciliation entre développement et protection de l’environnement
La conciliation entre le droit au développement et la préservation des ressources environnementales soulève de nombreux défis juridiques et pratiques. Le concept de développement durable, défini par le rapport Brundtland en 1987 comme « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs », tente d’apporter une réponse à cette problématique.
Sur le plan juridique, cette conciliation se traduit par l’émergence de nouveaux principes et instruments. Le principe de précaution, consacré par la Déclaration de Rio et repris dans de nombreux textes internationaux et nationaux, impose aux États de prendre des mesures de protection de l’environnement même en l’absence de certitude scientifique absolue sur les risques encourus.
De même, le développement des études d’impact environnemental comme préalable à la réalisation de projets d’envergure permet d’intégrer les considérations environnementales dès la phase de conception. La Convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement renforce quant à elle la transparence et la participation citoyenne dans ces domaines.
Vers de nouveaux modèles de développement
Face à l’urgence climatique et à l’épuisement des ressources naturelles, de nouveaux modèles de développement émergent. Le concept d’économie circulaire, qui vise à limiter la consommation et le gaspillage des ressources, gagne du terrain. Il se traduit par l’adoption de législations spécifiques, comme la loi française relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire de 2020.
La notion de justice climatique s’impose progressivement dans le débat international. Elle souligne la nécessité de prendre en compte les inégalités face aux impacts du changement climatique et d’assurer une transition écologique équitable. Cette approche se reflète dans l’Accord de Paris sur le climat de 2015, qui reconnaît l’importance de la justice climatique dans son préambule.
Enfin, le développement des énergies renouvelables offre de nouvelles perspectives pour concilier développement et préservation de l’environnement. De nombreux pays adoptent des législations incitatives pour favoriser leur déploiement, comme la loi allemande sur les énergies renouvelables (Erneuerbare-Energien-Gesetz) qui a servi de modèle à de nombreux autres pays.
Le rôle croissant des tribunaux dans la protection de l’environnement
Face aux défis posés par le changement climatique et la dégradation de l’environnement, les tribunaux jouent un rôle de plus en plus important. On assiste à une multiplication des contentieux climatiques à travers le monde, où citoyens et ONG attaquent les États ou les entreprises pour leur inaction ou leur contribution au réchauffement climatique.
L’affaire Urgenda aux Pays-Bas, dans laquelle la Cour suprême a confirmé en 2019 l’obligation de l’État de réduire ses émissions de gaz à effet de serre d’au moins 25% d’ici fin 2020 par rapport à 1990, a fait jurisprudence. Elle a inspiré des actions similaires dans d’autres pays, comme l’affaire Notre Affaire à Tous en France.
Au niveau international, la Cour internationale de Justice a été saisie en 2022 d’une demande d’avis consultatif sur les obligations des États en matière de changement climatique, à l’initiative de l’Assemblée générale des Nations Unies. Cette démarche pourrait contribuer à clarifier les obligations juridiques des États en la matière.
Le droit au développement et l’accès équitable aux ressources environnementales sont au cœur des enjeux juridiques et politiques du XXIe siècle. Leur conciliation nécessite une approche globale, intégrant les dimensions économiques, sociales et environnementales du développement. Elle implique une coopération internationale renforcée, l’adoption de nouveaux instruments juridiques et une évolution des modèles économiques. C’est à ce prix que nous pourrons espérer construire un monde plus juste et plus durable pour les générations futures.